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Dans l’enfer de

Lorsque le directeur de thèse devient un obstacle

« Quand la thèse vire à l'épreuve de force », épisode 2/3. Une fois les obstacles financiers et administratifs enjambés, le doctorant mène ses recherches en tandem avec le directeur de thèse. Si à n'en pas douter, ce duo fonctionne généralement en bonne intelligence, la collaboration vire parfois au bras de fer. Le jeune chercheur doit alors surmonter son sentiment d'isolement, déjà fort dans le quotidien du thésard.

Certains thésards voudraient que les directeurs de thèse soient formés pour agir en bon manager.
Certains thésards voudraient que les directeurs de thèse soient formés pour agir en bon manager. (iStock)

Par Florent Vairet, Ariane Blanchet, Julia Lemarchand, Hélène Bielak

Publié le 25 janv. 2021 à 07:00Mis à jour le 26 janv. 2021 à 15:31

L'aspect relationnel, en particulier avec son directeur ou sa directrice de thèse (DT), est la clé de la réussite. Or nombre de témoignages font état de DT tantôt dilettante, tantôt « control freak ». Sarah* en a subi un qui appartenait à la première catégorie. « Mon directeur de thèse ne m'accordait aucun entretien, sauf la toute première fois. Il a parlé de lui pendant trois heures et, à la fin, il m'a sommée de lui dire si je voulais ou non faire ma thèse avec lui. » La jeune femme, alors stressée de ne pas trouver un autre DT pour commencer sa thèse, accepte.

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Mal lui en a pris. « Le sujet arrêté était trop vaste et, à chaque fois que je voulais le resserrer, il ne me répondait pas ou me renvoyait vers d'autres thèses. » La première année est un enchaînement de mois laborieux et non fructueux. Heureusement, le comité de suivi, qui veille au bon déroulement de la thèse, tire la sonnette d'alarme dès la deuxième année. Verdict : le sujet est trop large. Mais le DT ne veut rien savoir. Sarah s'enfonce dans ses recherches, sans aide de sa part, jusqu'à la troisième année, où elle parvient à s'en séparer. Mais la tâche n'a pas été aisée. Car, dans le milieu universitaire, difficile de formuler des critiques à l'endroit d'un professeur. « On m'a dit que ce n'était pas au doctorant de partir, mais au DT de le jeter, et ce, même s'il était de notoriété publique qu'il n'était pas compétent pour ce job. » La jeune femme réussit à se faire virer, mais sa confiance en elle est altérée.

A l'opposé du cas de Sarah, certains DT s'impliquent outre mesure. Ceux-là considèrent que préparer une thèse équivaut à s'investir corps et âme dans cette noble mission qu'est la recherche. Par conséquent, ils surchargent le thésard d'enquêtes à mener et lui font remarquer que partir avant 18 heures n'est pas digne d'un doctorant. « Si on ne mange pas, ne respire pas et ne dort pas thèse, c'est qu'on n'est pas assez impliqué », témoigne, désolé, Romaric*, thésard en dernière année. Car devenir chercheur est intégré un milieu où l'ego - surtout des thésards - peut être malmené par des DT, eux-mêmes d'anciens doctorants, sujets à reproduire leur propre expérience qui ont souvent eu lieu dans des conditions de sacrifices encore plus dures. « Quand je quitte le labo, je ne suis plus joignable, et ça, ma DT a du mal à l'accepter. Pendant sa propre thèse, elle devait être disponible jour et nuit », ajoute Romaric.

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Les DT ne sont pas formés pour être des managers mais en endossent les responsabilités. Là où un doctorant est censé monter en autonomie durant les trois années de recherche, certains directeurs refusent de lâcher du lest. « J'ai eu l'impression de stagner en première année », confie Laura*, qui a fini par changer d'encadrant quand elle a compris qu'il ne lui donnerait pas l'occasion de signer un article de recherche en tant que premier auteur, élément décisif pour ensuite trouver un employeur.

Heureusement, entre ces deux situations, nombre de binômes fonctionnent très bien. « Mais c'est un peu un exploit, reconnaît Marine, désormais docteure. Une thèse, c'est comme faire à deux le tour du monde en bateau. Au bout d'un moment, on est fatigué, et l'absence de résultats peut créer des tensions entre le doctorant et son directeur. »

Surmonter le sentiment d'isolement

Dans ce voyage singulier, on peut vite se sentir seul en plein océan… Quand Paul* parle des premiers mois de sa thèse en écologie et biodiversité, on sent une pointe d'amertume. « Naïvement, je pensais qu'en tant qu'étudiant, on allait nous former pour la recherche, nous confie-t-il depuis la Nouvelle-Calédonie, où il réside. Mais en fait non : en thèse, on apprend tout seul. » Ecrire des articles scientifiques ou mener des recherches sur le terrain, voilà des activités au coeur du métier de chercheur que Paul a appris à réaliser seul, sur le tas. «A posteriori, je me dis que ça m'a appris à être autonome dans l'apprentissage. Reste que parfois, j'ai perdu énormément de temps et d'énergie à faire face à ces problèmes de solitude », regrette-t-il, lui qui n'a eu que deux Skype avec son DT lors de sa première année de doctorat.

Pour nombre de thésards, ce sentiment d'isolement est exacerbé par le manque d'échanges sur leur sujet de recherche. « Les autres thésards ne comprennent pas forcément ce que tu fais. Les occasions de partager sont très rares. Physiquement, tu es présent avec eux, mais intellectuellement, tu es tout seul dans ta tête », résume Victor*, en thèse de droit privé.

En France, il existe peu d'études sur la santé mentale des doctorants. En 2018, des chercheurs se sont intéressés aux thésards en biologie de l'université Lyon-I et ont montré qu'une personne interrogée sur deux faisait état de stress, de dépression ou d'anxiété chronique. Un constat alarmant que partage Emilie Doré, auteure du blog Réussir sa thèse et formatrice auprès de jeunes chercheurs. « La solitude fait partie de l'expérience de la thèse et on en a besoin pour faire mûrir des idées, souligne-t-elle. Mais le revers de la médaille est que, parfois, on se sent complètement largué. »

Les sources d'angoisse sont nombreuses. Gestion du temps, des priorités… Mais aussi, et surtout, beaucoup de doctorants évoquent la pression à laquelle ils ont dû faire face. « On nous rabâche tout le temps qu'il faut avoir le meilleur dossier, note Julie*, doctorante en histoire de la pensée économique. Cela passe par la capacité à publier des articles, ou encore à travailler sur des sujets à la mode et à nouer des contacts. » Car, dans certains domaines, notamment en sciences humaines et sociales, les postes de maître de conférences se comptent sur les doigts de la main et sont peu à peu gelés. « A ce niveau-là, les critères subjectifs sont parfois ceux qui permettent de décider », peste Nicolas*, doctorant en quatrième année d'informatique.

Gérer la pression des résultats

Alors, certains mettent les bouchées doubles pour publier dans les revues scientifiques qui comptent. En 2018, la France était sixième (derrière les Etats-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, l'Allemagne et le Japon) en matière de participation aux publications mondiales, avec 85.395 articles, un chiffre en hausse de près de 20 % par rapport à 2008. Rappelons qu'en 2009, Nicolas Sarkozy s'était attiré les foudres des jeunes chercheurs en jugeant insuffisante cette performance. « A budget comparable, un chercheur français publie de 30 à 50 % en moins qu'un chercheur britannique dans certains secteurs », avait alors déclaré le président de la République. Sans que cela vaille pour une vérité générale, Eliott*, thésard en biologie, reconnaît lui aussi que dans un certain nombre de pays, les jeunes chercheurs doivent davantage publier qu'en France. « Dans mon domaine, ils doivent publier trois/quatre articles en tant que premier auteur durant la thèse, quand on doit en publier au moins un ici. »

Mais cette course à la publication se marie mal avec les impératifs de la thèse. « Il m'est arrivé d'abandonner l'écriture d'un article faute de temps, car je devais respecter les échéances de ma thèse », explique Clémence, la doctorante en sciences politiques. Dans l'idéal, un mois à temps plein serait nécessaire, selon elle, pour rédiger un article de qualité, temps dont elle ne dispose plus. On avait pronostiqué qu'elle finirait sa thèse en quatre ans, elle en est à sa sixième année. « Il n'est pas possible d'avoir fait le tour de son sujet en trois ans tout en gérant tous les autres aspects liés à la thèse », estime Julie, la jeune historienne. Comme elle, la moitié des doctorants dépassent les trois ans de recherche, durée initiale du contrat de financement doctoral.

Pour l'encadrement, les publications scientifiques ont leur importance puisqu'elles contribuent à la renommée de l'université. « Lors de ma première semaine de doctorat, une chargée de recherche a mis la pression en me disant que pour continuer dans la recherche académique, je devais publier dès la première année, ce qui est faux. Cela m'a fait douter de ma capacité à faire ma thèse », explique Mathilde Maillard, doctorante au laboratoire MATEIS, spécialisé en science des matériaux, et animatrice des podcasts Bien dans ma Thèse .

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Car la rédaction d'articles scientifiques et de la thèse ne suffit pas : il est aussi conseillé de participer à la vie de son université ou de son labo afin de rencontrer ses confrères et de se faire connaître. Clémence participe ainsi à de nombreux colloques, ce qui lui demande du temps. « Je me suis peut-être surinvestie de ce côté-là ! » sourit-elle. Enfin, pour les doctorants qui dispensent des cours, il s'agit aussi de proposer un enseignement de qualité à leurs étudiants. « Cette année, avec la crise et les cours en distanciel, il faut en plus savoir répondre à leur sentiment d'isolement et à leur inquiétude », confie Julie. Rattraper des étudiants sur le point de décrocher, répondre aux nombreux mails… Une charge de travail supplémentaire dont ces doctorants-vacataires se seraient bien passés.

Trop de pression, trop précaires ou trop isolés… Il n'est pas rare que les doctorants lâchent en cours de route, avec une proportion atteignant 40 % pour les sciences humaines et sociales, d'après une note de 2010 de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres).

* : les prénoms ont été modifiés

Retrouvez les deux autres épisodes de notre série « Quand la thèse vire à l'épreuve de force » :

Episode 1 : « Ces doctorants pris entre précarité financière et galères administratives »

Episode 3 : « Après la thèse, pourquoi pas le privé ? »

Hélène Bielak, Ariane Blanchet, Julia Lemarchand, Florent Vairet

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