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Cette année, l’exposition Réclamer la terre a fait son entrée au Palais de Tokyo et le Centre Pompidou a édité un Mooc intitulé Art et écologie. Si l’écologie a toujours été un sujet traité par les artistes – Yann Arthus-Bertrand, par exemple, n’a pas attendu la crise sanitaire en réalisant son film Home, en 2009 –, elle se fraye aujourd’hui un chemin jusque dans les programmations des musées les plus renommés. Les initiatives écologiques essaiment de toutes parts au sein du secteur culturel : sensibilisation du public, écoconception d’œuvres d’art, travail sur une mobilité durable pour réduire la distance entre le public et les événements, etc.

En partenariat avec des directeurs et directrices des affaires culturelles (DAC), des élèves de l’Institut national des études territoriales (Inet) ont mené, à travers la France, une enquête d’observation sur les démarches de transition écologique dans le secteur culturel. Ils ont présenté les résultats de cette analyse lors d’un atelier durant les Assises de la Fnadac à Sète, les 20 et 21 octobre derniers. Ils notent que des actions sont mises en œuvre à tous les niveaux. Dans le secteur du bâtiment, Hélène Salio, l’une des étudiantes impliquées, constate que « pendant longtemps, on ne se posait pas de questions, il fallait détruire pour reconstruire. Aujourd’hui, on se demande si c’est vraiment nécessaire. Et si oui, de quelle manière ? ». Une démarche écologique dans le bâti peut passer par la rénovation de bâtiments anciens pour réduire drastiquement les consommations énergétiques, à l’exemple du Muséum de Bordeaux. « Cela peut aussi permettre de repenser les matériaux, d’éviter le béton pour revenir à la chaux ou la terre crue », continue-t-elle. Des projets de sobriété numérique voient également le jour, afin de ne pas déplacer le problème. Car si le numérique représente aujourd’hui 4 % des émissions mondiales de CO2, il est prévu qu’il atteigne 8 % en 2025. Or, dans ce secteur, la culture figure au premier poste mondial de consommation des données et produit trois quarts des émissions de gaz à effet de serre.

Certaines collectivités territoriales vont jusqu’à freiner leur production culturelle pour viser la sobriété énergétique. « Il existe un tabou autour du ralentissement à cause de l’impact sur le rayonnement du territoire. Même si des exemples existent », précisent les étudiants. Ils citent l’Expérience Goya à Lille, qui tend à restreindre le nombre d’œuvres d’art dans une exposition afin de diminuer les frais de transport liés aux prêts ; ou encore le réseau Onda (région Centre-Val de Loire) qui étend, de un à trois ans, les tournées d’artistes sur un territoire. « À Strasbourg, les musées proposent moins d’expositions temporaires dans l’optique de les faire durer plus longtemps », explique Maximilien Fortier, un autre étudiant de l’Inet. En conclusion, il s’interroge : « On voit qu’il y a de la volonté. On sait faire différemment. Mais cela suffit-il ? »

Atelier de David Irle aux Assises DAC
© CNFPT – Alexandre Laversin

Une effervescence sans trajectoire

Dans une autre salle, David Irle, consultant en transitions écologique, énergétique et digitale dans le secteur culturel, anime l’atelier « Économie circulaire et écoproduction ». « Pour être plus écologique qu’un gobelet en plastique, une écocup doit être réutilisée quinze à vingt fois », explique-t-il aux vingt personnes assises face à lui. Son but : démontrer que pour s’engager dans une réelle démarche écologique, il ne suffit pas de passer d’un gobelet à l’autre. Certains festivals de musique se sont ainsi rendu compte de la haute empreinte carbone créée par les écocups customisées qu’ils proposaient. L’une des solutions trouvées a été de les mutualiser pour plusieurs événements sans les personnaliser. « Certains petits festivals demandent même au public d’apporter ses propres verres ! », ajoute-t-il.

À ses yeux, « il faut sortir de l’idée qu’il existe une formule magique de l’écoconception et prendre le temps de la réflexion. Se dire que, oui, on peut commettre des erreurs et en tirer des leçons ». Il constate que, du côté du politique, la tentation est grande d’aller rapidement vers une « critérisation » des démarches écologiques. Mais selon lui, avant même la mise en place de contraintes et de références fixes, il est nécessaire de structurer une stratégie parce qu’« un problème systémique ne se résout pas avec une grille d’indicateurs ». Pour David Irle, la différence repose à présent sur la mise en relation entre ce qui est dit et ce qui est mis en place. « Autrefois, on pouvait organiser une exposition sur la fonte des glaces dans un lieu qui potentiellement y contribue. Ce n’était pas un sujet. Désormais, ça le devient. »

Force est de constater que la période est à l’effervescence. « Mais s’agiter en tous sens ne sert à rien pour réussir la transition énergétique. » Même si de solides projets existent, il perçoit « surtout du bricolage » dans les politiques publiques. Nous sommes passés d’une époque où l’écologie était un sujet à part, traitée dans un coin, à une prise de conscience collective où les enjeux énergétiques deviennent vitaux et transversaux. Pourtant « on ne fait pas mieux qu’hier. Notre approche technique et technologique ne fonctionne pas, nous devons aussi revoir nos pratiques ». Pour réussir la transition énergétique, il n’est pas nécessaire d’aller vite. Il faut se poser, réfléchir et apprendre à distinguer correctement les notions d’efficacité et de sobriété.

Parmi les solutions proposées : l’écoconditionnalité, qui donne droit à des financements. Chloé Béron, membre de l’association Cofees (Collectif des festivals éco-responsables et solidaires en région Sud), précise toutefois que celle-ci « ne doit pas être punitive, mais constructive ». Par exemple, on ne peut pas imposer les mêmes critères aux très grands festivals et aux petits. Il faut garder en tête la différence de moyens financiers et donc la capacité de chacun à répondre à ces objectifs. Interrogé à ce sujet, David Irle considère que « La manière de faire du CNC Centre national du cinéma et de l’image animée. est maline. Il a annoncé la mise en place d’une écoconditionnalité de ses aides à partir de 2024, en tenant compte du bilan carbone (obligatoire dès 2023). Cela laisse aux structures le temps de s’adapter. Ça, c’est un vrai plan d’action ».

Le problème est commun à toute la société, mais on doit se demander à quel point le secteur culturel, avec tout ce qu’il représente, veut être pionnier.

Un exercice obligatoire

À l’issue de son atelier, il constate combien « Les gens se sentent facilement démunis. Ils viennent chercher des outils, des “fiches pratiques”, mais ce qu’on leur apporte finalement, c’est de la complexité »… Et du recul. Car ce n’est pas la première fois dans l’histoire, rappelle-t-il, que le milieu du spectacle vivant change de technologie. En matière d’éclairage, par exemple, il est passé de la bougie au gaz, de la lampe à incandescence à l’halogène et enfin à la LED. « L’humain a une capacité d’adaptation inversement proportionnelle à sa capacité d’anticipation. Nous allons connaître un processus d’adaptation très puissant. Mais il y a une limite. Si on dépasse certains seuils, si on tarde trop, on va juste mourir. »

Si des frémissements préexistaient à la crise sanitaire, celle-ci a joué un rôle de catalyseur. « Nous avons vécu une sorte de saut dans le vide, où l’on s’est rendu compte que ce que nous considérions comme essentiel ne l’était pas forcément. Les gens ont eu le temps de se poser des questions, cela leur a permis de faire un pas de côté. » Et pour générer de grandes transformations dans la société, « il faut des chocs ». Nous en avons connu deux, coup sur coup : la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. « Depuis, on accélère, mais ce n’est pas toujours pour le mieux. » Il remarque cependant que même si cette thématique – centrale lors de ces Assises – intéresse les individus, « il y a eu assez peu d’inscrits à mon atelier. C’est très humain de vouloir rester sur des sujets que l’on connaît ».

« Le problème est commun à toute la société, mais on doit se demander à quel point le secteur culturel, avec tout ce qu’il représente, veut être pionnier. » Les axes prioritaires sur lesquels il faut agir en profondeur, selon lui, sont évidemment différents entre le cinéma, les musées ou le spectacle vivant, mais on peut les classer comme suit. Tout d’abord : intégrer la sobriété énergétique dans le bâti culturel. Deuxièmement : aller vers une mobilité durable, car « si l’on dépend aujourd’hui encore de l’avion et de la voiture, dans quinze ans nous aurons des problèmes pour faire venir le public ». Par conséquent, il faut en finir avec les logiques de rayonnement territorial pour leur préférer la construction pérenne d’un maillage de proximité. Troisième priorité : la sobriété numérique. La quatrième : revoir le modèle alimentaire dans lequel s’inscrit le secteur culturel, afin de proposer des assiettes plus « responsables » avec des aliments produits localement. Et enfin : l’écoconception des spectacles. « Ce n’est pas le plus polluant mais le plus visible, cela peut donc avoir un impact inspirant et intéressant. » Or, plus on agit vite, explique-t-il, plus nous serons résilients.

Aussi suggère-t-il de créer une convention collective « Culture et climat » permettant de piloter ce plan à grande échelle. « Nous avons dix ans pour faire pivoter notre modèle de société. Si on pousse un peu, on arrive jusqu’à 2035. Aujourd’hui nous allons encore trop lentement. À ce rythme, nous en serons au même point en 2060, voire en 2070 ! Et en même temps, si nous nous précipitons, on casse. Il faut aller vite, mais sans précipitation. Accepter d’avoir une trajectoire. » Et cela d’autant plus que « notre secteur a une capacité de résilience assez élevée, il est facilement soutenable en comparaison, par exemple, avec le secteur du tourisme international dont j’ignore comment il va pouvoir survivre. Alors que certains domaines sont voués à disparaître, dans la culture, on serait capables de faire si on en avait envie ».

À la fin de leur atelier, les étudiants de l’Inet proposent un temps pour les réactions et les questions. « Parfois, on a peur de glisser dans le militantisme en proposant des projets écologiques », témoigne un directeur des affaires culturelles. « Les élus nous disent que la transition écologique est nécessaire, mais ils restent encore dans un raisonnement de développement territorial qui l’emporte sur l’écologie », enchaîne une autre DAC. Quand on demande aux étudiants comment passer des projets isolés à un projet global de transition écologique, ils reconnaissent des blocages politiques liés aux impératifs budgétaires, tendant vers des logiques de moindre coût et de rayonnement du territoire. Maximilien Fortier marque une pause, puis reprend : « On a pu voir que des solutions étaient prêtes. Alors, peut-être que lorsque l’on n’aura plus le choix, on les appliquera ! »