EXCLUSIF. Cinéma : on a vu le nouveau « Dune » !

Le blockbuster tant attendu, adapté du best-seller de Frank Herbert, est projeté en avant-première mondiale, ce 3 septembre, à la Mostra de Venise. Nous l’avons vu.

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Paul Atréides (Timothée Chalamet) et sa mère Jessica (Rebecca Ferguson) dans « Dune ».
Paul Atréides (Timothée Chalamet) et sa mère Jessica (Rebecca Ferguson) dans « Dune ». © Warner Bros./Legendary

Temps de lecture : 7 min

Il ne faut qu’une poignée de secondes à Dune pour nous éblouir. Par sa poésie, son ampleur visuelle, sa majesté sonore rythmée par de puissantes percussions paraissant résonner depuis le cosmos. De bonnes vibrations, aussi intimidantes que celles des vers des sables de la planète Arrakis. Découragés depuis trop longtemps par un désert de blockbusters exsangues de toute intelligence, nous voilà face au miracle : une oasis de beauté, de grandeur, de fracas. Dune. La renaissance du space opera, un genre pas vraiment gâté par la piteuse dernière trilogie Star Wars. Un conte à la fois biblique et actuel, une tragédie complexe et démesurée, mais dont les actes s’emboîtent dans une clarté limpide. Une allégorie aux nombreux degrés de lecture, qui entrent tous en collision avec notre passé comme notre présent dans une tempête de thèmes, de l’angoisse écologique au fanatisme religieux en passant par les cicatrices du colonialisme et le choc des civilisations, sans oublier l’émancipation des femmes. Dune, un film woke ? Oui… et aussi heureusement non, tant son réalisateur parvient à encapsuler ces ambitions dans une priorité absolue : nous divertir dans un grand spectacle syncrétique, convoquant Lawrence d’Arabie comme La Guerre des étoiles (le tout premier, oui), Jung comme le Graal ou le monomythe de Campbell. On croit rêver mais non et, pour paraphraser Frank Herbert, le dormeur s’est bel et bien réveillé : Hollywood pulse encore.

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Un véritable exploit signé du Québécois fou Denis Villeneuve, qui a plongé dans cet impossible chantier juste après son déjà monumental Blade Runner 2049… et s’affaire à rendre intelligible l’extrême densité du roman de Herbert, adulé par les uns, refermé au bout de quelques pages par les autres. Contrairement à la malheureuse tentative de David Lynch en 1984 – attachante et non sans charme en dépit de son ratage patent – on n’est jamais perdu dans les sables de ce Dune 2021. Résumer ici l’intrigue tient de la gageure. Retenons qu’en l’an 10191 de notre ère, dans une galaxie très lointaine où des planètes aux gouvernances dynastiques passent leur temps à s’affronter en mode guerre des Deux-Roses, le jeune Paul Atréides (Timothée Chalamet), fils du chef de la famille du même nom sur Caladan, va devenir sans le vouloir le guide d’une révolte. Celle des Fremen, peuple nomade d’Arrakis, un astre totalement désertique abritant de gigantesques vers souterrains aux sécrétions précieuses : une substance aux nombreux pouvoirs, dont celui de plier l’espace-temps, baptisée l’Épice. Après la mort de son père, le Duc Leto (Oscar Isaac), à la suite d'un complot fomenté par le sanguinaire baron Harkonnen (Stellan Skarsgard), Paul prend fait et cause pour les Fremen, opprimés depuis quatre-vingts ans par la Maison Harkonnen, administratrice d’Arrakis dont elle surexploite les ressources pour extraire l’Épice.

Gerbes de flammes, tsunamis de sable

Les nombreux enjeux du premier livre (Herbert en a écrit six), dont ce nouveau film n’adapte que la première partie, sont miraculeusement contés sans que jamais le spectateur se gratte la tête pour savoir qui fait quoi, sur quelle planète et pour quels motifs. Certes, les trahisons sont bien là et elles ne plairont pas à tout le monde. On trouvera même sûrement des nostalgiques de la version Lynch pour regretter sa bizarrerie, ses embardées glauques et ses volutes surréalistes, autant de caractéristiques clairement absentes de la vision de Villeneuve. D’autres reprocheront aussi à ce dernier d’expliciter à l’excès le mystère du mille-feuilles cosmique de Frank Herbert – un défaut bien maigre en échange de l’incomparable confort narratif de cette réinterprétation, tellement plus fluide que le faux rythme confus de son prédécesseur. Plus embêtantes pour les puristes, les retouches aboutissant à une relative édulcoration du texte initial : l’homosexualité du cruel et pervers baron Harkonnen a été purement et simplement gommée, de même que le terme « djihad », usité dans le livre et le film de Lynch pour désigner la « guerre sainte » menée par les Fremen contre leurs oppresseurs. Dans un monde post-11 Septembre et, plus encore, où il convient de veiller à ne pas déclencher une incontrôlable bronca sur les réseaux sociaux, Denis Villeneuve et son coscénariste principal, Eric Roth (Mank, Munich ou encore Forrest Gump, qui lui valut un oscar), ont sagement évité ces polémiques. Dans l’interview qu’il a accordée au Point, publiée prochainement, le réalisateur s’en explique.

Proportions gigantesques, échelles vertigineuses : « Dune », le retour de la grande épopée SF.
 ©  WARNER BROS. - LEGENDARY ENTERTA / Collection ChristopheL via AFP
Proportions gigantesques, échelles vertigineuses : « Dune », le retour de la grande épopée SF. © WARNER BROS. - LEGENDARY ENTERTA / Collection ChristopheL via AFP

Au regard du somptueux festin qui nous est offert, ce ne sont que péchés véniels. Filmé dans une colorimétrie désaturée conforme à cet univers où, contrairement à Star Wars, bien et mal ne sont pas aussi nettement tranchés, Dune n’en multiplie pas moins les hallucinants morceaux de bravoure : vaisseaux spatiaux oblongs immobiles dans le noir cosmique ; cérémonies fastueuses aux foules minuscules perdues dans d’immenses plans larges ; attaque d’Arrakeen (la capitale d’Arrakis) par les Harkonnen, où les gerbes de flammes destructrices se mêlent à des tsunamis de sable… Sans oublier ce laser bleu gigantesque pulvérisant tout sur son passage à la poursuite d’un ornithoptère en fuite (version Dune d’un gros hélicoptère de combat). Ou encore la première apparition des fameux vers géants, titanesques, lors de la scène clé du sauvetage d’une station moissonneuse d’Épice. Une séquence qui fera date dans la grande histoire des blockbusters, qu’on aimerait tant voir ressuscitée grâce à Dune. Devant ces prodiges visuels, empruntant à une esthétique réaliste chère à Villeneuve mais aussi proche de Rogue One : A Star Wars Story, on se pince en apprenant que Dune n’a coûté « que » 165 millions de dollars, soit presque cent de moins que le dernier Avengers… Ces explosions opératiques, loin d’être vaines, servent une dramaturgie exigeante et atmosphérique, portée par les rêves prophétiques du héros et par de nombreuses respirations intimistes, où se construisent les subtils rapports de Paul au père et à la mère, son acceptation à reculons de son destin messianique, ainsi que l’ambivalence manipulatrice de l’ordre religieux du Bene Gesserit, dirigé par l’opaque révérende mère interprétée par Charlotte Rampling.

Grandiose à la David Lean

Côté casting, hormis un Javier Bardem incongru dans la distille du chef des Fremen, Stilgar, pas un grain de sable. Du mélancolique Chalamet au bravache Jason Momoa dans le rôle du flamboyant guerrier Duncan Idaho, en passant par Oscar Isaac, Rebecca Ferguson (Jessica Leto), Stellan Skarsgard, Zendaya ou l’ultracharismatique Josh Brolin (le maître d’armes Gurney Halleck), tous jouent une partition à la hauteur du mythe. Si l’on voulait pinailler avec Dune 1re partie, on pourrait lui reprocher un dernier virage – celui de la rencontre entre Paul et les Fremen en plein désert – un brin laborieux au vu du tonnerre qui a précédé. En clôturant son film de la sorte, comme un cliffhanger de série télé aux mille questions sans réponse, alors même que Warner attend les résultats du box-office pour confirmer la mise en branle de la seconde partie, Denis Villeneuve prend un véritable risque avec le public – là encore, tout le monde n’appréciera pas le procédé. En contrepartie, ce choix du diptyque lui aura permis de mieux embrasser l’épopée, contrairement au Dune de David Lynch qui, en à peine deux heures, s’essouflait à compresser les deux grandes parties du premier livre.

Passée la frustration d’un final presque en sourdine et un peu brutal mais riche de promesses pour la suite, le bilan n’en reste pas moins proche d’atteindre les étoiles, en particulier dans le marasme ambiant des superproductions américaines. Film-monde gorgé d’amour pour son œuvre de référence, louable conciliation entre les exigences d’un spectacle de masse et une myriade de sous-textes politiques, religieux et mythologiques, Dune renoue avec un grandiose à la David Lean, qu’il pare de fureur, de poésie, de mastodontes spatiaux et de créatures fantastiques. Sa réussite prouve que face aux productions généralement médiocres et étriquées des plateformes de streaming dans le domaine de la science-fiction, la sainte alliance d’un auteur et d’un studio peut encore produire des étincelles. Et faire de nouveau entrer dans la lumière le grand divertissement hollywoodien. Tous en salle pour l’aventure Dune  !

Dune, de Denis Villeneuve (2 h 35). Sortie nationale le 15 septembre.

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Commentaires (9)

  • MalàJaurès

    Cet univers est intéressant ; espérons que ce film soit à la hauteur. Le fanatisme est une des composantes importante pour comprendre cet univers et la pensée du film. Il prend sa source dans le jihad Butlérien issue de la haine des machines pensantes. Pour bien comprendre le monde de Dune, il est utile de lire les livres qui amènent à Dune ; livres qui ont été écrit après la disparition de Franck Herbert (mais sur des indications qu'il avait laissé à son neveu) mais au combien d'actualité, surtout aujourd'hui. Ne serait-ce que pour savoir ce qui a séparé deux alliés indéfectibles comme les familles Atreïdes et Harkonnen, ou qui a conduit à la naissance des mentats, du Benet Guesserit, de la guilde des navigateurs, et autres acteurs de ce monde pas aussi farfelu que l'on pourrait le penser. L'univers de Dune met en évidence comment notre façon de penser peut dicter les actes de l'avenir ; et le fanatisme est un des moteurs importants qui a conduit à Dune.

  • BARONDEDAMAS

    Comme toujours pour ce critique, l'exaltation woke sert de boussole et lui fait justifier par exemple la censure de l'une des thématiques essentielles du livre : le fanatisme religieux ! Ou la perversité du baron Harkonnen, etc. Mais pas de ça a hollywood aujourd'hui... Le Dune de lynch etait bizarre mais trouvait un sens entre grotesque, tragique et malaise qui interprétait judicieusement le livre. Mais le critique inculte ne l'a probablement pas lu. Villeneuve étant francophone a la carte, ces films mêmes ennuyeux comme BR sont encensé chez nous et floppent ailleurs.

  • Cantalette

    J'en ai pas du tout, du tout, du tout envie. Les bouquins, puis le film (vu plusieurs fois et que j'aime vraiment pas), la serie (pas mieux mais pas pire). Les affreuses BD de Jodo. Pas envie.