On the row (2022)

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Je n’ai aucune échelle de comparaison possible, malheureusement, mais la façon dont Zelazny utilise les codes de la Fantasy a semblé à mes yeux de néophyte assez astucieuse et adroite. Le héros moyennement sympathique, qui poursuit des desseins qu’on ne comprend que progressivement, dans un monde qui ne se découvre au lecteur qu’encore plus progressivement (chouette twist au milieu du livre qui change complètement la perspective). Bref, un roman qui ne commence de manière bien balisée et un peu conventionnelle que pour le plaisir de tout chambouler en cours de route et de prendre au piège son lecteur qui croyait avoir tout compris d’avance.

« Mais il en va ainsi de tous les oracles, Jack. Quand ce qui a été prédit arrive, celui qui a questionné n’est plus la même personne que lorsqu’il posait la question. Il est impossible de faire comprendre à un homme ce qu’il deviendra avec l’écoulement du temps, et c’est seulement à un moi futur que se rapporte vraiment toute prophétie. »

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On retrouve la même atmosphère et le même dispositif (alternance entre point de vue des policiers et point de vue des malfrats) que dans Tueurs de flics, sorti quelques mois avant ce deuxième opus, écrit à 20 ans. Sauf qu'ici, l'auteur est encore plus nettement du coté des hors-la-loi, deux ex militaires qui se sont lancés, par amour, dans un jeu de massacre anti-capitaliste foutraque et fantaisiste.

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que celle ci et à ce point forte et originale. Pour ce faire, Alpers croise deux données plus ou moins factuelles, et a priori contradictoires : le constat qu'un nombre croissant d’œuvres auparavant attribuées au Maitre sont désormais considérées comme des tableaux de ses élèves, et le fait que malgré tout, il reste une « touche » Rembrandt, dans le geste et la facture aussi bien que dans les thèmes ou le traitement. L'autrice s'appuie sur ce paradoxe pour développer quatre «moments » : la touche, le modèle théatral, le travail d'atelier et la dimension économique, et par ces visions de biais, elle livre un portrait contrasté et riche du peintre, aussi clair et aussi obscur que les œuvres emblématiques de son modèle, ne cherchant jamais à traquer l'ultime vérité dans toute sa lumière, mais plutôt les zones de frottement, de mélange, d'indécision où peuvent se développer toutes les nuances de la pensée.

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Clairement exposée ou non selon l’œuvre, il y a toujours chez Minard une dimension ludique. Jeu avec les codes, les genres, avec le lecteur, avec l'écriture. Ici la démarche devient le centre même de la diégèse puisque nous sommes censés tenir entre les mains le testament d'une romancière au soir de sa vie, qui décide en guise de dernier cadeau à sa compagne de lui léguer non ses biens, mais son don, celui de réécrire, de revisiter, de réenchanter la vie vécue pour la transformer en vie rêvée. Un jeu donc, mais fait avec tout le sérieux que lui apporte les enfants, comme disait l'autre (euh...)

« Ce qu’il y a de commun à un texte et à sa traduction, ce n’est pas l’histoire, le sens, le rythme mais cette chose compliquée dont parle Corneille quand il dit ma tragédie est faite (il ne reste plus qu’à l’écrire). Elle est faite, il reste à en donner une version. C’est dans cette affirmation « elle est faite » – alors qu’elle ne l’est pas, justement tout reste à faire, à bricoler, tailler, peser, coudre – que réside, que se trouve, comme d’autres blocs mouvants, notre lune, notre miel, notre île italienne, dans la brèche du temps, la source du texte qui n’est telle que de s’être déjà changée en fleuve, d’avoir déjà parcouru l’intégralité de son tracé et de s’être jetée dans l’océan. En ce sens, tout développement textuel se fait nécessairement au futur antérieur. Lequel peut tenir dans un présent de l’indicatif convenablement suspendu. »

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Ou B comme Bluffant. Le sujet est à la fois passionant et casse-gueule, c'est assez fascinant de voir comment Roberto Bui parvient à le traiter. Ça serait une méta-lecture intéressante d'ailleurs, mais là en fait le bouquin est tellement prenant, tellement intelligent, tellement fouillé et vibrant qu'on le lit comme un page turner. C'est à la fois historique (avec une généalogie du complot sur plus de 500 ans), sociologique (avec une catégorisation très fine des différents types de conspirationistes et de leurs victimes), politique (le retour sur la crise COVID en Italie laisse pantois), polémique (foin du manichéisme entre gentils citoyens et méchants complotistes), militant (avec une dénonciation en règle de l'instrumentalisation que le capitalisme triomphant peut faire du complotisme). C'est donc à l'arrivée une véritable Enquête dans le sens qu'Hérodote pouvait lui donner : l'histoire protéiforme d'une civilisation saisie dans toutes ses contradictions.

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Y'a des auteurs comme ça, les pauvres, ils ont droit à une phrase lapidaire et hop affaire classée. Ce pauvre Eric lui c'est « Vuillard fait du Vuillard » avec en addendum soit un condescendant « mais c'est bien » soit rien du tout, ce qui n'en dit pas moins. Notons que le prénom ne doit pas porter bonheur puisque Chevillard a le droit à la même antienne. Non, pas Chevillard fait du Vuillard, mais... vous m'aurez compris. (Peut être que les gens, décidément très pressés, confondent les deux auteurs dont les Noms/Prénoms ont tant de lettres en commun. Créons en Eric Chevuillard et n'en parlons plus !).
Alors du coup, lire le premier roman de Vuillard fout un peu tout par terre, parce que ça ressemble pas du tout à ceux d'ajourd'hui, ce qui voudrait dire que soit à l'époque Vuillard ne faisait pas du Vuillard (pas plus que dix ans aprsè avec le faramineux Conquistadors), soit qu'ajourd'hui en faisant du Vuillard, Vuillard fait autre chose que ce qu'aurait pu être du Vuillard s'il avait continué à faire du Vuillard comme à l'époque où il faisait du Vuillard, pas le même mais un autre. Bouh, pas simple.
Bref ici, pas de guerre mondiale, pas de lutte sociale, pas de révolution, pas de colonisation, mais une plongée dans une psychologie autre, celle d'un être qui se croit traqué, qui se sent traqué, ou qui l'est. Un être qui pense en animal mais parle en homme, un être un peu flou (et forcément un peu fou) qui vit dans un univers aux frontières poreuses, faites de mots qui en même temps le fondent et le plombent.

« Si loin (qu’au gré d’une gigantesque boucle je me retrouve encore plus près) d’une douceur à laquelle je ne puis me soustraire, j’irais volontiers à sa rencontre.
Alors, nous regarderions – chacun posté d’un côté du torrent – les galets parfaitement lisses et comme mourants de l’intérieur.

Ce serait incroyable de parvenir à détruire quelque chose !

Plus tard. Côte à côte.
Je serrerais sa main et lui la mienne jusqu’à ce qu’ayant serré, serré, l’un d’entre nous tente maladroitement de retirer la sienne, parce qu’il commence à souffrir de cette étreinte.
Cela ressemblerait à une réconciliation, que n’aurait précédée aucun conflit. »

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Au croisement de la philosophie et de la psychanalyse, Descombes part à la chasse au langage et à son rapport à la vérité. Vérité de l'énoncé versus vérité de l'énonciation, condition du sens et fabrication de la signification, tractation entre demande et désir, le domaine est complexe et l'auteur prend plaisir à multiplier les chausses trappes et les paradoxes, histoire d'attraper les mots à leur propre piège. On en ressort un peu épuisé, mais comme lesté d'un savoir clandestin qui se sera déposé en nous de façon quasi subliminale.

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Avec son humour et son acuité habituels, Latour fait un petit tour du côté des sciences, pour tenter, au fil de courts articles thématiques, d’expliciter un peu les rapports entre le monde, celui qui l’observe, celui qui cherche à le copie, celui qui cherche à l’expliquer. Il fait appel tout à la fois à Gaston Lagaffe, à Holbein, à des ceintures de sécurité, des clés, des biologistes, des photogrpahes, bref tout un dispositif à entrées multiples pour éclairer de de biais les liens qui se tissent entre les choses, les outils, les corps et les cerveaux, via des chemins de traverses loin de la simple dichotomie entre réalistes et idéalistes.


« Ne cherchez plus, je vous prie, de ressemblance entre la carte et le site dont je viens de vous raconter l’histoire. Toute cette affaire de correspondance entre les mots et le monde vient d’une simple confusion entre l’histoire de l’art et l’épistémologie. On a pris la science pour un tableau réaliste en s’imaginant qu’elle copiait exactement le monde. Les sciences font tout autre chose – et les tableaux aussi. Elles nous relient, par étapes successives, au monde lui-même aligné, transformé, construit. Nous y perdons la ressemblance, c’est vrai, mais nous y gagnons quelque chose de plus : en pointant de l’index sur les traits d’une inscription imprimée dans un atlas, nous pouvons, par une série de transformations toutes également discontinues, nous relier à Boa Vista. Jouissez de cette longue chaîne de transformations, de ces suites de médiateurs, au lieu de quémander les pauvres plaisirs de l’adequatio. Je ne puis jamais vérifier la ressemblance de mon esprit et du monde, mais je puis, en payant le prix, étendre le réseau où circule, par transformations constantes, la référence avérée. Cette philosophie des sciences n’est-elle pas plus réaliste, dans les deux sens du mot, que les autres ? »

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C’est un peu dommage que le bouquin dans son entier ne tienne pas vraiment les promesses des trente premières pages, car le démarrage est absolument, et faramineusement, réjouissant. La langue qu’invente Lebrun est à couper la chique, sorte de délire verbal faussement moyenâgeux et complètement barré, qui va comme 8 gants aux tentacules hystériques et machiavéliques de Yolande d’Aragon, bien décidée à trouver une vraie fausse prophétesse pour bouter, à la place de son gringalet de gendre, futur Charles VII, l’angliche hors du royaume. Un sans faute donc (pour toute la première partie) qui s’essouffle je trouve quelque peu par la suite malgré toutes les ressources d’un imaginaire débordant.

« Ainsi donc, malgré ta malplace de cervelle et ton inaptitude à toute chose d’esprit, tu pensais pouvoir prendre le large quand bon te semblerait pour aller à la cueillette de jeunettes en forêt ? Escapite-moi bien : que tu souhaites la compagnie des toutesvenantes, vraiment, je m’en contrecarre et joliment. Tu eusses brûlé d’amour pour un veau ou un goret que j’en eusse été pareillement inconfuse. Mais, la douzième, entends bien ce que suit : presque tout le monde a passé, et ne reste désormais que petit nombre pour accomplir nostre bielle mission, qui te dépasse en importance, qui me dépasse moi, et même le royaume et le monde tout entier ! Et tout ceci survient parce que tu t’aperçois subitement que le dessous te pliqueplotte et, devenue chaude sur le potage, tu vas ratisser des promeneuses ! Ce n’est pas acceptable. En rien, jamais, ne pourrai fermer l’œil sur ce que tu as fait là. Tu dois payer le pot, la dot, et te mettre en tien cervelet que tu as tous ces morts avec toi désormais. Les Jehanne sans teste et les chevaliers éventrés seront tiens en grande compagnie spectrale, jusqu’à ce que tu meures à ton tour. »

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« Vous qui êtes français, dites-moi pourquoi, dans tout votre trésor littéraire, vous n'avez pas de livres remèdes ? Pourquoi vous ne pensez jamais aux désespérés ? Tous vos livres disent non à la vie. C'est facile d'être négatif. Et je n'avais pas besoin qu'on m'y aide. Pourquoi n'avez-vous jamais eu le courage, vous Français – ou la bonté – ou la générosité de soi – de dire oui à la vie. C'est très difficile. Mais ne vante-t-on pas partout votre courage ? N'aurez-vous jamais que le plus bas ? Ne penserez-vous jamais à ceux qui ont besoin de comprendre le monde ? »

dont acte...

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C'est quand toutes les petites imperfections qui l'émaillent ne nous font ni chaud ni froid qu'on voit qu'un bouquin nous plait vraiment. Parce que oui, si on voulait chercher la petite bête, le texte de Haenel a certes quelques facilités, quelques approximations, quelques répétitions. Mordant, brillant, débordant et joyeux, (en gros, l'inverse de Houellebecq, pour le dire vite) : il y a une telle fougue dans le style, une telle inventivité dans les épisodes narrés, une telle originalité dans la façon de couler du vieux (la mystique bataillenne) dans du neuf (le surendettement et la violence du néo-capitalisme) qu'en ce qui me concerne, je lui pardonne tout. A part peut-être le titre, qui est quand même franchement anti-sexy au possible.

« C’était un trait de la personnalité de Bataille, peut-être une énigme, du moins une mauvaise habitude : il laissait tout en l’état. Il y a peut-être au cœur de l’inertie des secrets qui valent qu’on y plonge, une approximation de sagesse, une disponibilité au vide, un oui flottant au monde, mais l’on y rencontre aussi un désespoir qui pue la toile d’araignée. Bataille s’en foutait : il faisait par ailleurs tant d’efforts qu’une telle glissade, fût-elle un peu dépressive, lui paraissait nécessaire »

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Le Japon comme terre de dépaysement total remettant à zéro les compteurs, les critères, las a priori est un poncif de la littérature - et du cinéma – occidentaux. Ebahi, on s'y perd, image troublante de l'altérité absolue. Rosenthal fonce à plein dans le thème, mais à cette nuance près qu'elle a l'air de ne pas du tout y trouver son compte, et cela vient mettre un tout petit peu d'épice dans le tofu. Tout l'énerve là bas, la tend, l'exaspère, et à part ressasser ses propres problèmes d'enfance (heureusement, elle ne donne pas trop de détail sur la question) on ne voit pas trop ce que ce voyage tout frais payés par la villa Kujoyama lui a apporté. Heureusement, entre deux jérémiades, Rosenthal a la bonne idée de retranscrire les curieux entretiens qu'elle a eu avec des Japonais : en tant qu'enquêtrice, elle les trouve inexploitables, mais c'est bien eux qui viennent mettre un peu de mystère et de poésie dans un récit qui par ailleurs menace à chaque paragraphe de verser dans l'autofictif planplan.

« Après s’être acharnée au crawl, on rentre, épuisée, et dès qu’on s’assoupit on fait le même cauchemar : on arrive devant la piscine, on rejoint le vestiaire, on se déshabille, on enfile le bonnet de bain, et après avoir parcouru le couloir en coude qui débouche sur le bassin on voit, sur toute sa longueur, des corps inertes flottant sur le ventre. Le maître-nageur ne semble pas ébranlé par cette scène et il reste tranquillement assis sur son siège surélevé, le sifflet autour du cou, un vague sourire aux lèvres, presque aussi absent que les baigneurs dont on ne sait s’ils font tous ensemble un exercice de planche en apnée ou s’ils sont morts. Après plusieurs semaines d’intense activité physique et psychique en eaux troubles, et pour éviter ce rêve récurrent, on renonce à la piscine. »

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J'ai eu peur dans les commencements, je me suis dis ça y est, on va encore avoir le droit à une énième diatribe contre les outils modernes, la solitude induite, la vacuité permanente et consentie, diatribe surement étayée mais aussi ennuyeuse que le suket qu'elle entend attaquer. Mais en fait non, au contraire, le thème de la géolocalisation est plutôt bien utilisé, du bout des doigts, avec un humour un peu désabusé qui perce parfois entre deux flips de dépression. Seulement l'écriture ne suit pas vraiment, on reste très en surface et le problème au final serait plutôt dans la sagesse qui entoure tout ça : c'est appliqué, c'est pondéré, et du coup ça sonne un peu fake, voire limite niais.