Anne Simon, 53 ans, est directrice de recherche au CNRS. Spécialiste de Proust, à qui elle a consacré quatre ouvrages, elle a en parallèle orienté son travail sur le vivant et l’animalité en littérature, initiant et développant en France un champ de recherche appelé « zoopoétique ». Rattachée au Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL) de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle anime depuis 2010 le projet Animots, qui vise, au croisement des sciences humaines et des sciences du vivant, à « étudier les bêtes à l’intérieur de la littérature, et donc à l’intérieur des mots ». Convaincue de la puissance de l’interdisciplinarité, elle étend sa réflexion aux dimensions sociopolitiques et éthiques de la question animale.
Vous êtes l’initiatrice en France d’un champ de recherche récent appelé « zoopoétique ». De quoi s’agit-il ?
Anne Simon : Pour vous répondre, il faut d’abord rappeler ce qu’est l’écocritique, un courant d’études né dans la sphère anglo-saxonne sous le nom d’ecocriticism dans les années 1970, développé en France dans le courant des années 2000. « Eco » vient du grec oikos, qui renvoie à la maisonnée associée à une activité de production, puis à tout ce qui relève de l’habitation du monde. L’écocritique, c’est donc l’analyse thématique de textes qui portent sur l’écologie et sur le monde naturel, mais aussi, plus récemment, sur des lieux comme les cités, les décharges ou les friches industrielles. L’écopoétique en est très proche, mais porte sa focale sur les procédés littéraires par lesquels un auteur exprime un rapport environnemental au monde.
La zoopoétique – mot que j’ai emprunté au philosophe Jacques Derrida dans L’animal que donc je suis (Galilée, 2006) – est une écopoétique resserrée sur la question animale. Autrement dit, une approche des textes dont l’objectif est de mettre en valeur la pluralité des moyens stylistiques, narratifs, rythmiques et thématiques que les écrivains mettent en jeu pour restituer la diversité des activités, des émotions et des mondes animaux. Comme il est impossible d’envisager ces derniers de façon séparée du monde de la vie en général, la zoopoétique met aussi l’accent sur la richesse des interactions entre humains, bêtes, plantes, air, sols, eaux et minéraux. Le tout – et c’est très important pour moi – dans une perspective ouverte sur les enjeux et les débats internes à d’autres disciplines.
Dans le champ aujourd’hui très riche des études portant sur la question animale, cette discipline vient donc combler un vide ?
Il vous reste 86.59% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.